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Thierry Marx : Le Kendo à la toque

Auteur, présentateur, commentateur et même acteur, le pratiquant le plus médiatisé du CNKDR nous a reçu dans sa cuise de (Top) Chef.

KEN DO Magazine – Comment, où et pourquoi avez-vous commencé la pratique du Kendo ?

Je travaillais dans une compagnie au Japon où, tous les ans, on m’offrait un kimono de Judo. Je ne savais plus quoi en faire… mais j’étais judoka. Et puis un jour, pour les fêtes de fin d’année, alors que j’allais quitter l’entreprise, je vois arriver un immense colis et je reçois une tenue complète de Kendo ! Je dis à mon employeur, après l’avoir remercié
« Vous savez, je fais du Judo pas du Kendo » et il me répond « Tu en feras un jour ! ». Et cela a commencé comme ça. J’ai plié mes bagages, quitté le Japon et je suis venu travailler sur Bordeaux. Là, j’ai vu qu’il y avait un club de Kendo, je ne savais même pas mettre la tenue.
J’ai commencé, ça m’a plu : c’était quelque chose qui correspondait à mes valeurs et développait à chaque entraînement une énergie positive. Même si à l’époque je perdais mon hakama, le men, les lacets… Je n’étais pas dans l’axe, je pensais qu’il fallait aller au contact pour casser la distance et je prenais des coups incroyables. La tenue m’a posé problème pendant une bonne année jusqu’au jour où j’ai eu un cours privé pour m’expliquer comment on s’habille.

Vous citez régulièrement Pierre DELORME (haut gradé de Kendo, connu également pour ces nombreux écrits) dans les interviews. La pratique a-t-elle pour vous un pendant ésotérique ?

Alors je pourrais citer Pierre DELORME en long, en large et en travers ; Pierre DELORME est quelqu’un que je considère comme un ami et qui m’a beaucoup enseigné au Kendo, à la boxe et dans la spiritualité japonaise. Il y a une vraie spiritualité dans la pratique d’un art martial et une vraie spiritualité dans la pratique du Kendo. Je crois que l’on ne peut pas se défaire de ça, il y a presque une parole philosophique dans le Kendo. C’est un cadre éducationnel assez puissant et assez efficace. Avec Pierre DELORME on débat très longuement parfois sur ce type de sujet.

Judo, Kendo, boxe, MMA. Quel est votre sentiment sur la compétition. Est-elle, selon vous, dé- terminante pour une meilleure perception de la pratique ?

Je dirais oui et non. Mauvaise réponse, mais elle vaut ce qu’elle vaut. La compétition amène à faire beaucoup d’erreurs, donc à corriger en permanence votre pratique. Je pense qu’il y a un temps pour tout : il y a un temps pour l’apprentissage des bases, il y a un temps pour la compétition et il y a un temps pour la transmission. Et ces trois temps sont essentiels. La compétition, ce n’est pas ce que j’affectionne. Autant je l’ai affectionné en Judo, que je ne la connais pas en Kendo. Mais la compétition vous désorganise beaucoup, même si vous n’obtenez pas de résultat, cela va vous apprendre à mettre du temps entre l’émotion et l’action, parce que cette pression excessive – et je dis bien excessive – de la compétition déséquilibre beaucoup votre Kendo. S’il y a compétition, alors il y a beaucoup d’entraînement, cela donne un coté durable à votre pratique et vous apprenez quelque chose d’important dans la compétition et d’essentiel dans la vie : c’est le fait que vous ne gagnez pas parce que vous êtes le meilleur, vous gagnez parce que vous ne pouvez pas perdre. Si vous avez tout donné dans un échange, ce n’est pas grave si vous n’avez pas pris le point. En Judo, quand vous avez pris une « boîte » (une chute sévère), si vous avez tout donné, finalement, à la prochaine compétition, vous ne resterez pas dans la frustration. Et je pense que le Kendo sert à ce genre de chose dans la vie. C’est très lié à la culture japonaise. Ce peuple, cette nation est toujours dans l’apprentissage dès lors que vous arrivez avec un geste nouveau, que ce soit dans la cuisine, dans l’artisanat, etc. Ils veulent en avoir eux aussi la transmission et l’apprentissage.

Pensez-vous que le cheminement soit identique dans le cadre d’un passage de grade?

Oui, un passage de grade c’est quelque chose d’assez frustrant, vous dites pourquoi pas moi ? Où ça n’a pas fonctionné ?
Vous n’avez pas forcément un débrief du passage. Effectivement, ce sont des choses qui vous construisent. Vous dites ce n’est pas mon tour, je n’ai pas été assez bon, il faut que je recommence… Mais le grade est basé sur la persévérance. Ça fait partie de l’escalier de l’évolution. Il n’y a pas d’ascenseur d’évolution, on ne peut pas croire à la technologie pour monter en grade, donc il va falloir corriger son pas, son pied, sa main, son engagement, sa rectitude pour qu’il n’y ait pas de contestation quand vous passez le grade.
Dès lors qu’il y a contestation, dès lors qu’il y a débat, un coup sur deux vous risquez de ne pas l’avoir. Moi, les passages des grades, je crois qu’ils sont justes. Il faut toujours s’arranger pour qu’ils soient équitables. Il y a ceux qui peuvent avoir le grade tout de suite et ceux qui peuvent progresser pendant cette période.
C’est plutôt bien organisé dans l’univers du Kendo mais si, quand vous passez un grade et que vous ne l’avez pas, vous considérez que ce n’est pas juste, n’oublions pas que quoi que l’on fasse dans la vie c’est fait par des humains, on n’est pas des dieux, le jury n’est pas dieu donc il peut avoir des errances de perception. À vous d’essayer d’imposer votre savoir-faire. Moi ce que j’aime bien au Japon, c’est que l’on dit souvent : apprends et tais-toi, apprends et comprends, après tu pourras innover. Alors, on n’aime pas ça dans la culture occidentale. Moi c’est ce que j’aime dans la culture japonaise : observe et tais-toi, apprends et comprends, ensuite innove. Je pense qu’à un certain niveau de compétition et à un certain niveau de grade, et bien, vous dégagez une empreinte, vous dégagez un style. Ce que vous retrouvez aussi dans le Kendo, c’est intéressant de prendre ça en compte.

 

Article extrait du magazine Ken Do Mag N°3
Propos recueillis : Franck DESPAGNAT
photos  : Eric MALASSIS